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29 décembre 2008

début

Sémione Ivanovitch avait émigré de russie après la chute du mur de Berlin. Cet humaniste voulait découvrir les libertés que seule l'Europe pouvait se targuer d'offrir dans les années 1990. Certes, il y a avait eu nazisme, fascisme, franquisme, mais surtout il y avait eu protestation contre l'oppression, gain de cause contre l'oppresseur, et éclosion d'une jeunesse revendicatrice de ses droits. C'est dans ce monde là qu'il voulait vivre; et celui dans lequel il baignait depuis l'enfance, celui du non dit, l'avait dégouté de ses iniquités banalisées, de son assentiment général face à la dictature et l'uniformisation de pensée qu'il imposait. Sémione Ivanovitch, partagé entre le désir de sa mère, Oustiana Ivanovna, de le voir médecin, et son amour pour les lettres; avait déjà tenté plusieurs fois le concours d'entrée à l'institut d'études médicales moscovite, en vain. Il lui arrivait de concevoir cela comme de l'ingratitude face à tout ce que sa mère avait fait pour lui, bien qu'elle ne lui imposât rien, et ce sentiment -qu'il chassait dès qu'il apparaissait- lui faisait éprouver une profonde culpabilité. Sa mère, depuis le décès de son mari deux ans après sa naissance, lui avait consacré sa vie, au détriment même de ses soeurs ainées: elle le voulait voir chirurgien, comme si à défaut de trouver un sens à sa vie elle lui en avait trouvé un à lui. Mais Oustiana Ivanovna, qui connaissait son fils, s'était finalement résignée, puisqu'elle ne voulait pas faire de lui un homme frustré, et travaillait d'autant plus que Moscou n'offrait pas l'éducation à laquelle il aspirait: il lui fallait vivre à Saint Pétersbourg, pour étudier le droit et entrer dans une grande école européene, disait-il. Elle partageait donc son temps de mère dévouée entre son travail de couturière la journée et les ménages le soir. Quand elle en avait le temps, elle amenait son ouvrage à la maison, et malgré la fatigue des heures indues, elle continuait son oeuvre douloureuse, se brûlait les yeux à force de labeur trop minutieux, et insistait sur ses rhumatismes de femme déjà usée par la vie; pour son amour de fils, la sainte chair pour laquelle elle se serait damnée.

Entre temps et on ne sait comment, sa soeur Dominika, l'ainée des quatre, avait rencontré un pigiste un peu marginal qui l'avait demandé en marriage. Elle avait accepté, et pour fuir son sentiment de transparence face à sa mère, qui n'avait d'yeux que pour son trésor de fils, alla s'installer à Omsk avec lui. Ses deux autres soeurs avaient suivit son chemin à cela près qu'elles s'éparpillèrent un peu partout en Russie, et Sémione Ivanovitch s'était trouvé seul avec sa mère à l'age de dix sept ans.

Elles ne leur écrivaient presque jamais et Oustiana Ivanovna, bien que très digne, souffrait de ce silence et s'enmurait dans son travail, asservie à l'ambition implicite de son fils, son amour perdu quinze années auparavant. Le seul qui lui restait.

Peut être pour trouver un prétexte pour se rapprocher « du monde actuel », de l'Europe libre idéalisée dont il s'imaginait citoyen, et avec l'argent que sa mère avait économisé, il partit étudier les langues occidentales, le français, l'anglais, l'allemand, puis le droit à Saint Pétersbourg. Peut être aussi pour fuir cet amour si fort, malsain presque, que lui infligeait sa mère. Il vivait dans un petit appartement qu'il louait pour quelques roubles avec son ami et collègue Alexei Andréiévitch avec qui il étudiait le droit. Là bas ils avaient un siècle de retard: le logement était composé de deux pièces, une chambre qu'ils avaient aménagée pour qu'elle puisse accueillir deux lits, et une minuscule cuisine qui faisait office de salle de bain. Des vêtements et diverses affaires de l'un et de l'autre jonchaient le sol, chacun repoussant l'échance de poser un jour des étagères aux murs. Ils s'étaient accomodé au désordre qui envahissait ce froid et lugubre espace de vie; puisqu'ils n'y passaient que très peu de temps: leurs journées se partageaient entre l'université, la bibliothèque, et les soirées estudiantines pétersbourgeoises. Après tout, bientôt, ils partiraient... Malgré ce rythme effréné, Sémione Ivanovitch n'avait cessé correspondre avec sa mère, restée seule à Moscou. Il s'inquiétait pour elle, cette pauvre et vieille femme qui ne voulait pas causer souci à son unique et précieux fils, mais dont les missives perdaient leur régularité et leur sens. En l'abandonnant, il avait égoïstement -mais peut être inconsciemment- amené avec lui la bienveillance et la sérénité d'Oustiana Ivanovna. Pourtant son départ tant géographique qu'intellectuel, sa proximité avec les patries dont il enviait et aimait la facilité d'expression l'éloignait -malgré lui- de tout cela, anihilaient sa culpabilité, et confirmaient son aspiration à autre chose, un ailleurs où il écrirait comme bon lui semblerait. Ils s'amusaient, lui et Alexei Andréiévitch, à appeler l'Europe "eu-ropos", en rapport avec l'éthymologie du mot utopie, "eu topos", ce lieu qui n'existait pas, ce lieu ou la censure ne serait plus de mise. Ils en avaient fait une Europe salvatrice de tous leurs maux, une europe accuillante et enrichissante de sa diversité.

Il allait terminer ses études quand il reçu une lettre de sa soeur Evpraksiya, en mai, qui lui annonçait que l'état de santé de leur mère se dégradait. Sémione Ivanovich, hésita longuement avant de décider d'attendre quelque mois, le temps d'avoir son diplôme, puis de revenir au chevet de sa mère. Il se refusait à céder sa réussite universitaire pour un aller à Moscou, dont il ne savait pas quand il rentrerait. Il continuait donc de vivre sa vie sans se soucier guère plus de sa soeur, de la lettre, de sa mère, et de Moscou. Il ne donna pas de réponse, et laissa négligemment s'échapper de sa conscience ces états de faits, qui rapidemment se transformèrent en détails.

Il retrouva Oustiana Ivanovna dans une de ces chambres grises et  sales que les hospices moscovites offraient aux indigents. Son teint hâve et son aspect cachectique donnaient  à la pièce un air de chambre funéraire, dont la substance cadavérique gisait au centre, et effraya son fils, son unique fils qui ne détourna pas le regard par amour, par respect, ou peut être pour laisser la rage qui l'envahissait punir l'égoïsme dont il avait fait preuve; doucement il s'assis à côté d'elle, lui pris la main et écouta son lent et pénible souffle. Il réfléchissait silencieusement, bercé par la respiration d'Oustiana Ivanovna. Ce calme, et la douceur de l'astmosphère, ponctuée des bippements réguliers de l'électrocardiogramme, signalant la faiblesse de son pouls, avivaient en lui une colère irrépressible,  ce fils indigne, ingrat, dont l'individualisme et l'ambition l'avaient mené à brandir son insensibilité à la face de sa famille. "Voyez comme je suis insouciant et irrespectueux", avait clammé son absence. Une lettre l'attendait sur un petit tabouret de bois, qui probablement faisait office de table de nuit; elle était datée  de février 1989, et signée Evpraksiya, Dominika et Diana:

« Nous ne pouvons rester plus longtemps au chevet de la Mère, nous avons des enfants à nourrir, un mari dont nous devons nous occuper, des responsabilités que quelqu'un comme toi ne peut imaginer.

Ce mot donc te sera envoyé à Saint Pétersbourg si la Mère ne peut plus attendre que son fils daigne se déplacer. Elle ne t'en veut pas, elle ne t'en a jamais voulu. Ton égoïsme et ton indifférence l'on toujours blessée jusqu'à ce qu'un signe de vie de ta part ravive en elle l'amour inconsidéré qu'elle pouvait te porter, aussi loin et indigne des idéaux familiaux sois-tu.

Il nous faut te dire par la présente qu'elle souffre de typhus et que, depuis ses délires, elle refuse de s'alimenter. Les médecins sont très pessimistes au sujet de son pronostic vital.

Sache que ton absence nous indigne et que désormais tu n'as plus de soeurs. »

L'enterrement fut très intime. Il n'y eu, en fait, que le prête, les soeurs, et la pluie d'Octobre. Sémione Ivanovitch n'avait pas osé se montrer, il fit envoyer une couronne, mais la honte et la culpabilité, qui le gouvernaient en cruels satrapes, l'empêchèrent de se recueuillir sur la tombe de sa mère. Ce jour là il resta prostré, dans une chambre d'hotel qu'il avait trouvé sur le chemin de la garre. Il avait décidé d'y passer la nuit, de se reposer avant de laisser ses tourments à Moscou et de repartir le lendemain pour Saint Pétersbourg.

Plus rien ne le retenait en Russie. Il choisit la France, « pays des droits de l'homme », comme le  lui répétait quotidiennement l'ambitieux Alexei Andréiévitch. Tous deux avaient le même objectif, et tous deux avaient trouvé les moyens d'y parvenir: Alexei Andréiévitch avait un oncle, haut fonctionnaire à l'ambassade qui leur avait permis de trouver un travail dans un ministère; il s'agissait seulement de passer le balais derrière de petits bureaucrates en mal d'autorité, qui se permettaient de leur donner des ordres ou de critiquer l'efficacité de leur labeur sous on-ne-savait-quel prétexte (mais ils avaient toujours raison); les deux amis riaient de ce mépris injustifié, et parfois même, lorsqu'ils étaient de service au deuxième étage, laissaient négligemment choir un papier à côté de la poubelle, ou la déplaçaient, seulement pour se délecter des crises de colère d'un de ces ronds-de-cuir particulièrement maniaque, qui, intolérant à la moindre trace de désordre sortait de ses gonds et se mettait à faire le tour se sa chaise de manière répétée, incessemment, pendant parfois plus d'une demi heure, jusqu'à ce qu'en général, sa secrétaire l'interrompe pour s'assurer que

-"tout va bien Monsieur Majewski?"

-"Oui oui Mademoiselle, bafouillait-il tout confus, honteux d'être surpris dans son accès de ridicule, oui oui, c'est la poubelle que ces sots de balayeurs n'ont pas mise à leur place, cent fois je leur ai dit que la place de cette poubelle était à gauche du bureau, cent fois mais ils n'entendent rien, expliquait-il en ré-ajustant nerveusement ses lunettes, qui glissaient sous la moiteur de son visage, si les balayeurs ne font pas leur travail, si personne ne fait son travail, c'est l'anarchie qui guette le ministère! Certes il ne s'agit que de balayeurs, on ne peut pas en demander trop à ces sans diplome, mais si la négligence n'est pas punie sévèrement nous serons tous perdus, et puis pourquoi s'obstinent-ils à mettre la poubelle à droite? Ne pas être intelligent est-il une excuse suffisante pour ne pas mettre la poubelle correctement? ", et il continuait de plus belle ses loggorhées ponctuées de tics nerveux, peut être pour cacher son malaise, qui le génait lui autant que sa secrétaire; tandis qu'Alexei Andréiévitch et Sémione Ivanovitch regardaient la scène, pouffant dans l'entrebaillure de la porte et partaient en courant ranger d'autres pièces du ministère, balais en main.

Des éclats de rire s'échappaient parfois des tristes bureaux des fonctionnaires. Ces courts moments de légèreté éloignaient Sémione Ivanovitch de l'austérité de sa vie, de celle qui l'attendait. Il se trouvait seul, face au décès de sa mère, face à un avenir qu'il se sentait incapable d'affronter, un avenir dont il avait le sentiment de ne pas avoir choisit les composantes. Le regret d'avoir déçu sa mère, qu'il aurait pu ressentir, en échouant au concours d'entrée à l'institut médical de Moscou, ne l'avait jamais profondément effleuré jusqu'à maintenant. Mais, dans cette chambre grise, face à ce gisant inanimé qui lui avait donné sa vie, il avait commençait à douter. Sémione Ivanovitch, le brillant étudiant en droit, dont les projets se succédaient sûrement, avait laissé s'insinuer en lui, pernicieusement, ce poison noir qu'est le doute. Aurait-il du tenter de nouveau cette épreuve d'entrée, pour sa mère? S'il ne le faisait pas, le regretterait-il toute sa vie? Il se gardait bien sûr de partager ses sombres réflexions avec Alexei Andréiévitch, et continuait à travailler pour leurs économies. Bientôt, ils gouteraient avidement à l'Europe, et; espérait secrètement Sémione Ivanovitch, il oublierait la Russie et les tourments qu'il avait laissé à Moscou. Il avait cette capacité étonnante à relayer au statut de détail la plupart de ses contrariétés, comme s'il oubliait ce qui réellement le préoccupait. Lui même ne savait vraiment si la mort de sa mère l'avait heurté ou s'il y était juste indifférent. Cette idée l'horrifiait, bien sûr, mais dès qu'elle s'approchait, il la balayait d'un revers de main, du geste de tout envoyer promener, de crainte, assurément, qu'elle ne menaçât son intégrité émotionnelle.

Décembre et son insouciance arrivaient, quand les deux amis fêtaient les résultats de leurs sacrifices et de leur épargne quotidienne: Enfin, ils avaient de quoi partir pour Paris et vivre un mois en France sans revenu, après quoi disaient-ils, ils aviseraient.

Maintenant que leurs projets étaient réalisables, il leur en fallait affiner les détails. Sémione, qui avait achevé ses études de droit, pensait trouver du travail dès son arrivée, en tant qu'avocat, et Alexei, qui avait abandonné ses études pensait les reprendre en France, ou bien trouver du travail, ou quelque chose, ou rien, il voyait quelque poésie à vivre de lecture et d'écriture sous les ponts de Paris. Peut importait, l'Europe était libre, l'effervescence encore palpable de la récente chute du mur de Berlin leur insuflait une euphorie telle

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13 octobre 2008

a63355544433.

Je pense seulement avoir besoin d'un endroit. Un chez moi, virtuel, à défaut de possibilité concrète. Ici est un endroit, un ailleurs. Loin des études qui ne conviennent pas, des relations ineptes, des espoirs vains et des réminiscences douloureuses. Une bulle de mots, isolés de la réalité comme j'en ai besoin.  voilà.

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